À partir du concept de circulation1, nous proposons de réfléchir sur le lien entre circulation et transnationalité en analysant comment ont été créés et comment se sont produits les différents processus et interactions entre les différents acteurs, processus entendu comme résultat et non comme caractéristique d’un attribut préexistent à ces relations.
La circulation est par définition un processus dynamique et de mutations incessantes qui se produit et prend de l’ampleur grâce aux échanges de discours, de pratiques, de marchandises, des œuvres et de personnes (Werner y Zimmermann, 2003: 7-36). Elle se distingue de la simple mobilité puisque les changements se produisent, à l’origine, dans ces mêmes déplacements (Markovits, Pouchepadass y Subrahmanyam, 2003). La mobilité, quant à elle, transforme et impose les frontières. Elle régule les flux au gré des nouvelles modes, des relations de forces, des traditions dans lesquels sont privilégiés les « passeurs culturels »(Bénat Tachot y Gruzinski, 2001).
Parmi les acteurs non-institutionnels, selon les politologues nord-américains Robert O. Keohane y Joseph S. Nye, les relations transnationales sont les contacts, les coalitions et interactions qui se développent au delà des frontières étatiques et qui ne sont pas contrôlés par les organes centraux de politique extérieure des gouvernements, c’est à dire, les relations, directes ou indirectes, personnelles ou impersonnelles qui dépassent les frontières de l’État-nation et qui impliquent au moins un acteur non institutionnel (Keohane y Nye, 1971: XII-XVI). Aux circulations de personnes s’ajoutent les échanges et l’hybridation des textes et des théories qui s’enracinent et se transforment dans des contextes historiques situés, contextes qui orientent et qui créent de facto de nouveaux modèles en circulation. Les idées ne se déplacent pas de manière autarcique : les discours et les pratiques changent avec les déplacements et cette mutation est l’essence même de leur existence. Ces premières bases théoriques nous aideront à proposer une analyse par exemple de la structuration des mouvements sociaux, du développement de réseaux et des stratégies transnationales, de l’action des acteurs institutionnels (Franck, 2012), telle que la création des réseaux transnationaux d’experts et de scientifiques (Marques-Pereira, Meier y Paternotte, 2010: 17).
Parallèlement, les approches analytiques de « l’histoire conceptuelle » soulignent l’importance de la prise en compte des processus de construction et de transformation des réseaux sémantiques qui se sont structurés dans l’espace et le temps. Les propositions des auteurs tels que Melvin Richter, Kari Palonen ou Elías Palti, entre autres, qui confrontent la Begriffsgeschichte de Reinhart Koselleck2 aux propositions de la Cambridge School, nous aideront à nous interroger sur les signifiés, les traductions ainsi que les raisons des déclinaisons des différents concepts et termes sémantiques, etc. dans un processus historique de « dénaturalisation » et d’historisation des cadres sociaux.
En effet, au cours de ces dernières années, on note une certaine historisation de l’histoire, notamment par la prise en compte de nouvelles catégories : le langage (G. Gadamer), les structures temporelles (R. Koselleck), les tropismes historiographiques et les variétés de la conscience historique (H. White), les langages et les discours (J. G. A. Pocock), la mémoire et l’oubli (P. Ricoeur), les régimes d’historicité (F. Hartog), etc. Grâce à ces études, les chercheurs ont reconsidéré la place du langage, de l’espace et du temps comme champs d’études indispensables pour toute approche de l’histoire des sociétés. Une étude des relations et des circulations entre le langage, l’espace et le temps pourront permettre d’explorer ainsi de nombreuses pistes inexploitées.
1 Depuis les années 1980, la notion de “transfert culturel” est utilisée en histoire des relations internationales (Milza, 1980: 361-379; Suppo y Leite Lessa, 2007: 223-250; Poirrier, 2004; Rojek y Urry, 1997).
2 La Begriffsgeschichte de Reinhart Koselleck : les concepts n’ont pas à proprement dit « d’histoire » mais sont eux-même « histoire » dans la mesure où ils articulent les expériences d’une société et les attentes de ses membres. Les concepts sont à la fois des indicateurs et des facteurs de changements : ils contiennent le devenir historique de chaque société.