Parmi les différents objets d’études possibles, nous souhaiterions mettre – entre autres– la focale sur les espaces sociaux. En effet, les espaces sont des lieux de création de liens, d’interactions, de sociabilité et de socialisation entre les groupes sociaux. La structuration de ces espaces doit être entendue à la fois dans leur globalité et dans leur interdépendance (étude de la structuration de l’espace à partir de la structuration des relations des groupes qui l’occupent (H. Lefebvre, 1986). Nous pourrions évoquer le rôle central des familles, des différents cercles culturels, des communautés de migrants, etc., qui cherchent à structurer les espaces afin de mettre en place des stratégies identitaires.
Nous tenterons de réfléchir sur le « transnationalisme des pratiques » (Benjamin Stora, 2017) dans une perspective d’histoire « connectée » (Douky, 2007), c’est à dire sur les dynamiques sociales, économiques (transferts et circulations des pratiques, des savoirs et des savoir-faire), politiques et culturelles (création de réseaux politiques, transmission et/ou hybridation culturelle) qui permettent non seulement de re-créer les espaces mais surtout de les décloisonner. Nous analyserons les formes « déterritorialisées », les nouvelles « reterritorialisations » ainsi que la place qu’occupent les différents acteurs (individus, associations, cercles scientifiques, cercles culturels, etc.) qui, aux côtés des institutions étatiques/privées, émergent à l’échelle locale, régionale, nationale ou globale. En somme, il s’agira de saisir comment se sont structurées les interconnexions mais aussi les exclusions des différents groupes dans des espaces-temps différenciés (cf. mobility studies).
Parmi ces espaces, prenons l’exemple de la ville. La ville est un (des) espace(s) social(aux) qui structure(nt) une grande quantité d’éléments culturels articulateurs de discours et de pratiques sociaux, dans une tension permanente, à partir et dans l’espace urbain1. Celui-ci est lié aussi à la constitution d’un paysage où les relations entre la technique, l’art et les discours de pouvoir sont multiples et modifiés au long du temps et à travers leur circulation. Ce paysage est, dans le même temps, social et naturel, subjectif et objectif, spatial et temporel, matériel et culturel, réel et symbolique, c’est-à-dire le résultat d’un processus de transformation physique des objets spatiaux2.
Les villes n’ont pas de sens stable, universel et figé. Elles sont investies de significations plurielles et mobiles, construites dans la négociation entre une proposition et une réception, dans la rencontre entre les formes et les motifs qui leur donnent leur structure et les compétences ou les attentes de leurs habitants qui s’en emparent. Inversement, les villes s’inscrivent dans les formes et le vécu de leurs habitants par rapport à elles-mêmes3, dans un rapport aux structures fondamentales qui, dans une temporalité donnée, façonnent la distribution du pouvoir, l’organisation de la société urbaine, ses représentations, etc.
La ville n’est ni un espace donné ni une scène neutre mais une construction sociale4. Elle est une façon de comprendre et d’octroyer des significations à l’espace vécu. L’espace urbain est toujours le résultat d’une « imagination », d’une façon de penser, d’un regard sur la ville, d’une construction culturelle liée aux discours et aux pratiques. La ville est le résultat d’une manière d’imaginer – de « s’imaginer » par ses habitants – le lieu habité et de l’identité de ceux qui l’habitent. Elle est une manière d’articuler les expériences qui donnent du sens tant à la vie individuelle qu’à la vie collective de l’espace vécu. La ville est une manière d’être5.
Par ailleurs, il s’agira dans nos réflexions de questionner les « phénomènes de réminiscence » (Halbwachs, 1925) qui permettent une métamorphose des autres espaces sociaux et une (re)construction de nouvelles mémoires collectives. Le recours aux « cadres sociaux » de la mémoire permettent de penser les représentations du passé en fonction du présent et ce, en fonction des pensées dominantes. Chaque groupe possède un temps « social » et une mémoire qui lui est propre. Les différents groupes sociaux transforment alors l’espace à leur image, ces derniers s’adaptant également au cadre spatial, temporel et matériel dont ils dépendent. Nous interrogerons ainsi l’historicité de ces constructions sociales et appréhenderons tout espace social comme le(s) résultat(s) de rapports historiques, économiques, culturelles, etc. Dans ces lieux et territoires sont réactivées des représentations, des images, des discours et des pratiques qui s’adaptent aux enjeux du présent (Halbwachs, 1997). C’est – entre autres – le cas des fêtes et des commémorations qui réactivent les éléments du passé pour revendiquer l’appartenance à une territorialité.
Nous pourrions, par conséquent, envisager l’étude des formes de construction de ces espaces à partir des questionnements suivants : Quels sont les nouveaux contours/nouvelles configurations de ces espaces sociaux? Quelles formes institutionnelles et esthétiques sont données à voir (architecture, institutions, monuments, paysages, etc.)? Quelles valeurs symboliques/normes sont transmises? Quels rôles ont joué les individus et les groupes sociaux dans la construction d’un nouveau regard et dans la diffusion de nouveaux savoirs?
Pour répondre à ces questions, nous proposons ces premières pistes de recherche :
a) Structuration des espaces (un espace « structuré ») => les facteurs de création des espaces sociaux (exemples : espaces urbains, familiaux, culturels, régionaux, nationaux, globaux)
b) Espaces, discours et pratiques sociales => les changements de regard sur les espaces individuels et collectifs, les modifications des discours, des représentations et des pratiques sociales
c) Effets des espaces sociaux sur les différents groupes (un espace « structurant » qui crée du lien social, symbolique, qui socialise, qui inclut comme exclut les différents membres d’une communauté)
d) « Limites » + nouvelles formes de reconstructions spatiales
1 Henri Lefebvre, Espace et politique. Le droit à la ville II, Paris, Anthropos, 2000; Rémy Allain, Morphologie urbaine: géographie, aménagement et architecture de la ville, Paris, Armand Colin, 2005
2 George Bertrand « Le paysage entre la Nature et la Société », Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, n° 49, 1978, p. 239-258. Marcel Roncayolo, La ville et ses territoires, Paris, Gallimard, 1990.
3 J.P. Thibaud et C.R. Duarte (sous la direction), Ambiances urbaines en partage, Genève, MetissPresses, 2013.
4 H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 1974.
5 Y. F. Tuan, Space and Place. The perspective of experience, Minneapolis, University of Minnesota Presse, 2008; K. Schöleg, En el espacio leemos el tiempo, Madrid, Siruela, 2007.